Pastoral des migrants en Suisse


Notes pastorales de la Conférence des évêques suisses
La situation actuelle de la pastorale des migrants

Réflexion et recommandations de la CES

La pastorale des migrants en Suisse se trouve aujourd'hui face à des décisions importantes. Toujours plus nombreux sont nos frères chrétiens qui nous arrivent des autres pays d'Europe. Ils s'attendent à être reçus dans l'Église d'une façon qui leur soit adaptée et espèrent qu'ils recevront d'elle un service pastoral qui leur permette de nourrir leur vie religieuse selon leur mentalité, leur sensibilité et leurs traditions. Par un tel ministère, I'Eglise leur transmet dans notre pays une patrie spirituelle et sécurité intérieure. Ainsi notre Eglise en Suisse devient-elle signifiante de la communauté universelle des fidèles. Comment répondrons-nous en tant qu'Église à ces attentes de nos frères chrétiens de langue étrangère?

En fait, les chrétiens de culture étrangère qui vivent en majorité depuis un certain temps dans notre pays, sont désécurisés. Ils ont souvent l'impression qu'une pastorale à leur intention n'est que tolérée mais non vraiment reconnue. Elle est même souvent aujourd'hui soumise à des critiques qui s'expliquent par diverses raisons:

Il n'est pas rare que des prêtres déplorent qu'il n'y ait aucune ou du moins très peu de collaboration entre les Missions linguistiques et les paroisses.
Les services administratifs de l'Église critiquent la croissance des frais causés par les Missions.
Certains vont jusqu'à mettre en cause la structure actuelle des Missions linguistiques.

La Conférence des évêques suisses (CES) estime que la pastorale des Missions linguistiques constitue un service important à l'égard des migrants installés chez nous. Elle s'informe régulièrement de ce ministère et donne son approbation à tout ce qui aide les chrétiens étrangers se trouvant dans notre pays à maintenir et à développer leur vie spirituelle. Les évêques sont bien conscients du fait que ces chrétiens d'origine étrangère seront encore présents à l'avenir dans notre pays comme dans notre Eglise. Aujourd'hui déjà, ils imprègnent l'Église en lui apportant un complément d'unité et de diversité. Il importe qu'ils continuent à enrichir nos communautés chrétiennes durant les années qui viennent.

C'est pourquoi, la CES publie cette prise de position. Celle-ci présente d'abord une synthèse sur les multiples ministères de la pastorale des migrants (I. La situation actuelle). Les évêques exposent ensuite leurs réflexions sur l'avenir de ces ministères (II. Evolution prévisible et attentes) et formulent des propositions d'amélioration (III. Recommandations). Ils souhaitent que ce document ne soit pas seulement accueilli de manière passive mais qu'il conduise aussi à des progrès concrets et aptes a promouvoir l'unité de l'Église dans notre pays.

I. La situation actuelle

Les discussions actuelles sur la politique d'asile et des étrangers, sur le nombre croissant des étrangers et leur intégration et sur la montée du nombre des migrants ne provenant pas de l'aire culturelle de l'Occident chrétien - tout montre qu'il y a eu ces dernières années une mutation profonde dans le domaine de la migration. Ainsi, des interpellations sont apparues sur l'ensemble de la vie sociale, la politique, l'enseignement, en définitive tous les habitants de notre pays. Les Eglises également se trouvent ainsi confrontées aux questions concernant la coexistence de personnes d'origines les plus diverses.

Cette mutation apparaît clairement si l'on considère l'origine des migrants. Tandis que le nombre des Italiens et des Espagnols diminue un peu, celui des Portugais, de ceux qui viennent des Etats de l'ancienne Yougoslavie et des non-Européens est en croissance. Il y a eu également des changements dans les motivations: à côté de la poursuite d'une forte migration en vue de la recherche du travail, la proportion des requérants d'asile augmente; à ce sujet, il faut préciser que la majorité des migrants actuels viennent en Suisse dans le cadre du regroupement des familles.

Quant à la réaction de nos Suisses à l'égard de la présence des migrants, elle a des aspects contradictoires: les uns se prononcent en faveur d'une Suisse ouverte à tous, tandis que les autres refusent les immigrants et voudraient quasiment mettre fin à l'immigration. De toute façon, le refus des étrangers n'est souvent que le signe d'une désécurisation générale. A cela s'ajoutent les sentiments d'isolement et de solitude contribuant notamment au développement d'une "société anonyme". Les rapports sociaux et humains s'en trouvent réduits et en ce qui concerne les immigrants ils sont confinés à l'intérieur des frontières du strict nécessaire. Les immigrants eux- mêmes risquent de se retirer dans un ghetto érigé par eux-mêmes et de réduire au strict minimum les liens avec les gens du pays. C'est ainsi qu'ils deviennent des apatrides dans notre pays, d'autant plus que se brisent les liens sociaux qu'ils avaient dans leur pays d'origine. Le danger n'est pas éloigné de voir s'élargir toujours plus le fossé entre les autochtones et les immigrants.

Ces tendances sont également perceptibles dans l'Église. Dans les années passées, les missions appelées "Missions linguistiques" sont devenues les instruments porteurs des postes de ministère pour les immigrants de religion catholique. Les missionnaires avaient pour tâche d'annoncer l'évangile à tous ceux qui, pour des raisons d'origine et de langue ne peuvent pleinement participer à la vie paroissiale. Par leur ministère, ils essaient de donner aux migrants de quoi assurer et garantir une vie de foi dans un milieu pourtant étranger.

A la fin de 1995, il y avait en Suisse 161 Missions avec 177 prêtres à plein temps, cinq prêtres à mi-temps, un prêtre en fonction secondaire, deux diacres et vingt-trois assistant(te)s pastoraux; trois prêtres habitant à l'étranger viennent régulièrement en visite pastorale en Suisse. Globalement, ils s'occupent de migrants de dix-huit groupes linguistiques différents.

Mais les Missions ressentent aussi la manque de prêtres. A cela, il faut ajouter le rétrécissement des moyens financiers dont disposent les Eglises, ce qui les empêche de subvenir aux tâches pastorales en faveur des migrants. Aussi cherche-t-on de nouvelles solutions pour la collaboration entre les paroisses et les Missions.

Le danger que des migrants trouvent dans les sectes un nouveau refuge spirituel et des contacts humains, croît lorsque manquent les services pastoraux et de diaconie et se détériorent les rapports sociaux. C'est un fait que les sectes, qui cherchent des adeptes par des méthodes contestables, ont trouvé un nouveau champ d'action parmi les migrants. De plus, un nombre croissant de mariages et de familles se défont du fait de la migration. Le prêtre qui vient lui-même des mêmes régions que les immigrants et qui parle leur langue est souvent alors le seul à pouvoir leur venir en aide dans leur détresse.

On attend de l'Église qu'elle réponde aux questions que pose notre temps et qu'elle se situe par rapport à l'avenir commun des autochtones et des migrants dans notre pays, face aux exigences actuelles. Sur cette base, une authentique communauté de peuples pourra se former a l'intérieur des paroisses et des communes.

II. Evolution prévisible et espérances

Pour autant que la tendance actuelle se maintienne, il faudra compter encore pour les années à venir sur une immigration en provenance des pays d'Europe centrale et que elle d'orientale, surtout des Etats non européens. Ainsi vont arriver en Suisse de plus en plus de minorités catholiques provenant de cultures et de langues diverses. D'autre part, la venue de Portugais va continuer, peut-être dans une proportion moindre aujourd'hui. Par contre, en raison de la politique restrictive de la Suisse à l'égard des étrangers, il faut s'attendre à un recul significatif de l'immigration en provenance des Etats de l'ex- Yougoslavie.

Du fait que l'ouverture des frontières entre les Etats de l'Union européenne n'a pas provoqué de nouvelles migrations, il n'y aura pas à escompter une croissance de migrants à partir de l'Italie et de l'Espagne après la conclusion des négociations de la Suisse avec l'Union européenne au sujet de la libre circulation des personnes. Cela vaudra surtout pour le cas où la vie économique en Suisse se situera à un niveau inférieur.

Cependant, ce sera le devoir des responsables dans l'Église de réagir en profondeur aux nouvelles formes d'immigration. En premier lieu, il s'agit de songer à tous ces frères chrétiens venant des pays lointains et ayant besoin des services que l'Église peut leur rendre. Aujourd'hui déjà, les chrétiens parlant d'autres langues qui constituent des minorités dans notre pays, demandent qu'une pastorale spécifique soit organisée. De telles demandes émanent des Indiens catholiques du Kérala de rite syro-malabar o des migrants africains d'expression française ou anglaise ou pratiquant un rite propre (par ex. au Zaïre)ou des Uniates de cultures diverses (Grecs, Arabes, etc.)

Du fait que d'autres groupes de migrants vont encore vivre à l'avenir dans notre pays à titre de minorités, il s'agit d'envisager de nouvelles formes de pastorale correspondant aux attentes fondées de ces fidèles. Même s'il ne sera pas possible d'engager un prêtre à plein temps pour chaque groupe, il faudra garantir une pastorale se préoccupant des conditions particulières des langues et des mentalités et tenant compte de la piété populaire ainsi que du rite de chaque type d'immigrants.

Selon les résultats d'un questionnaire distribué dans tous les doyennés de la Suisse, le vœu du renforcement de la collaboration entre paroisses et Missions s'est manifesté de façon particulièrement prononcée. Le même point de vue à été soutenu par les missionnaires italiens qui l'ont inscrit dans leur "liste de souhaits" à l'issue de leur rencontre de 1994. Comme il s'agit sur ce point de besoins importants encore à satisfaire, il faudra envisager des modèles nouveaux de "pastorale d'ensemble".

Les problèmes financiers des instances ecclésiales cantonales et des administrations ecclésiales et paroissiales ne sauraient être mis de côté lors de la planification pastorale. En raison de la situation financière tendue, la pression de ces instances devient toujours plus forte, imposant une information plus large sur les besoins pastoraux concernant les migrants.

D'autre part, il convient de considérer le fait que les prêtres engagés dans les Missions linguistiques peuvent aider la pastorale paroissiale. Ainsi, il y a la possibilité de confier à ces missionnaires, au long des années, des tâches pastorales dans les paroisses. En outre, ces missionnaires accomplissent des tâches sociales en faveur des nouveaux immigrants, qu'ils sont d'ailleurs souvent seuls à accomplir. C'est que le prêtre envoyé dans la Mission linguistique est leur première aide pour les questions sociales concrètes.

C'est un fait maintes fois vérifié que les migrants qui arrivent souhaitent rencontrer un prêtre - et non pas un laïc - à qui ils peuvent confier leurs problèmes. La plupart des migrants de la première génération restent toute leur vie attachés au prêtre, alors que bien des gens de la deuxième génération se sentent aussi unis à la Mission, là où ils se constituent membres de petits groupes de compatriotes, groupes à taille
humaine dans lesquels ils se connaissent mutuellement.

Ces dernières années, plusieurs instances ecclésiales de niveau cantonal, ainsi que des administrations d'Église, ont établi ou fait établir des rapports sur la pastorale des migrants dont l'objectif n'était pas toujours le même. Certains souhaitent le maintien de la situation actuelle, le complétant par un bref exposé sur les évolutions possibles, tandis que d'autres exigent une sorte de planification pastorale. Ces rapports sont le plus souvent rédigés sans l'intervention de l'Ordinariat compétent ou des Missions concernées. Pourtant, les Ordinariats ont précisément, au vu de la situation actuelle, la tâche essentielle d'élaborer "la pastorale de l'avenir".

III. Recommandations

Au sujet de la pastorale des migrants dans notre pays, les Evêques suisses se penchent avec une grande sollicitude sur ce que sera son avenir. Aussi adressent-ils aux prêtres et aux fidèles de leurs diocèses les "recommandations" suivantes:

Jamais encore les mouvements migratoires n'ont atteint de telles dimensions. Des causes d'origines diverses motivent cette croissance:

La recherche d'un travail, d'un salaire et de meilleures conditions de vie, o la fuite devant la guerre, la guerre civile et la persécution, o la recherche de la protection contre la faim, les catastrophes naturelles, les maladies, etc.

L' Europe entière - et par conséquent notre pays - est impliquée dans ce développement. Nous n'avons pas le droit de fermer les yeux devant les destinées tragiques des réfugiés qui viennent à nous, ni de nous refermer sur nous-mêmes en ignorant leur détresse.

La CES est bien consciente du fait que notre pays ne peut résoudre tous les problèmes des migrants. Mais nous pouvons tous contribuer à diminuer la souffrance humaine de ce monde. Chacun et chacune peut y contribuer par sa participation, par l'aide directe partout où cette aide est requise.

C'est une tâche spécifique de l'Église que de se soucier du bien-être humain global de tous les migrants qui viennent a nous. Or, ce qui joue un rôle essentiel est l'aide apportée à l'aspect communautaire de la vie religieuse, condition essentielle pour la sécurité et l'assurance nécessaires pour tout d'être vivant dans un environnement étranger. Voilà pourquoi la CES favorise tous les efforts pour le maintien et le développement de la pastorale des migrants.

Cette pastorale est spécialement partie intégrante de la tâche pastorale des Evêques: ceux-ci en ont la responsabilité principale. En effet, les Missions linguistiques font partie intégrante des Eglises locales diocésaines et là où c'est possible, elles doivent obtenir un statut (paroisse personnelle, missio cum cura animarum) correspondant à celui des paroisses.

Au niveau des finances et de l'administration, les instances des Eglises cantonales et les administrations d'Église ont la responsabilité de la pastorale des migrants. Aussi, la CES les prie d'exercer la sollicitude requise pour ces postes pastoraux. Elle le fait en étant bien consciente que le recul des impôts impose déjà des limites à l'érection de nouvelles Missions et même à la continuation de celles qui existent. Plusieurs Synodes régionaux ont d'ailleurs décidé de mettre sur pied une commission pour les Missions linguistiques. La CES approuve de telles initiatives constituant des possibilités d'un dialogue direct avec les migrants, en particulier là où le vote ecclésial et l'éligibilité des étrangers ne sont pas encore introduits.

La migration est soumise à une évolution constante, d'où la nécessité de faire connaître constamment, grâce à des analyses de situation, les besoins réels de la pastorale des migrants. Une telle planification est la tâche des Ordinariats; ceux-ci sont appelés à réaliser cette planification en collaboration avec les missionnaires en place et avec les instances administratives.

Non seulement en raison du manque de prêtres, mais surtout en raison de notre conception de l'Église vue dans son unité comme peuple de Dieu, la collaboration étroite entre prêtres et laïcs de toutes origines s'impose comme une nécessité incontournable. C'est pourquoi les Evêques souhaitent que se multiplient les voies vers une pastorale d'ensemble et que ces voies soient recherchées et utilisées.

Rencontrer des gens d'origine étrangère fait partie du quotidien de chaque prêtre, de chaque assistant(e) pastoral(e); il convient donc d'en tenir compte au niveau de leur formation. Le thème de la "Migration" doit absolument faire partie du plan d'étude et du programme des cours dans les Facultés de Théologie. Il faut en particulier qu'au cours de stages, les futurs prêtres et agents pastoraux aient l'occasion d'échanges avec des migrants de plusieurs origines. Les Evêques soulignent aussi que la question des migrants et de leur pastorale doit faire partie intégrante de la formation continue. Comme on l'a dit, le manque de prêtres touche aussi les Missions linguistiques. C'est pourquoi il faut envisager, pour les religieuses et les laïcs qui en sont capables et disposés, une formation théologique leur permettant, avec les prêtres, d'exercer des tâches pastorales auprès des fidèles de leurs pays. Pour des groupes de migrants plus étendus, on pourrait imaginer des équipes dans lesquelles les prêtres suisses et les missionnaires étrangers, hommes et femmes, se mettraient ensemble à la disposition des fidèles qui leur sont confiés. C'est d'autant plus important que des regroupements de paroisses se multiplient aujourd'hui. Il faut accorder une attention particulière aux nouveaux groupes de migrants. Beaucoup de ces nouveaux venus ont une conception de l'Église différente de la nôtre et ignorent les structures de l'Église en Suisse. Pour eux, il convient autant que possible de les confier à un prêtre issu de leur pays qui saura leur témoigner un sentiment d'accueil dans notre Eglise. Les missionnaires doivent être préparés a leur ministère; à cet effet, une sorte de vicariat en paroisse ou dans une Mission peut être envisagée.

IV. Remarques finales

La CES est bien consciente de sa responsabilité à l'égard des migrants de religion catholique. Toutefois, elle ne saurait accomplir sa tâche de service et d'orientation sans la collaboration des prêtres et des fidèles, qu'ils soient Suisses ou étrangers. Ensemble, nous formons le peuple de Dieu, lequel doit tendre à une unité d'autant plus forte qu'il se sait rassemblé par et dans l'unité de la foi. C'est pourquoi les Evêques souhaitent vivement que les membres de l'Église et les responsables du pays soient nombreux à lire et discuter le présent rapport et les recommandations qui l'accompagnent. Ils émettent en particulier le vœu que les conseils et les commissions ecclésiales se concertent mutuellement sur ces sujets et cherchent des voies concrètes pour l'application des recommandations. La CES soutiendra tout ce qui sera entrepris dans ce sens. Elle accueillera volontiers toutes les propositions nouvelles, lesquelles seront à adresser à sa
Commission spéciale pour la Migration, la SKAF (Neustadtstrasse 7, 6003 Lucerne, tel. 041/210 03 47, fax 041/210 58 46).

Fribourg 2 février 1996

Pour la Conférence des évêques suisses:
+ Henri Salina, CRA évêque-abbé de Saint-Maurice, président

P. Roland-B. Trauffer, OP, secrétaire

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